Vice-Doyen de la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion, Nicolas Huchet est également responsable du Master Monnaie Banque, Finance, Assurance. Faibles taux d’intérêt, « fintech », financement vert ou titrisation, l’enseignant-chercheur appréhende dans son dernier ouvrage, La Nouvelle Europe bancaire et financière, Réflexions sur le modèle français, les conséquences des reformes européennes qui ont eu lieu récemment avec un dimensionnement qui autorise la simplification, mais pas à outrance.
Rencontre :
En quoi ce livre apporte-t-il quelque chose de nouveaux aux questions bancaires ?
Il existe de nombreux ouvrages centrés sur les banques, avec des points de vue divers sur leurs pratiques notamment en matière de crédit, ou encore sur leur pouvoir de marché et le lobbying qu’elles mettent en œuvre. Dans ce livre, l’idée est d’appréhender les conséquences des réformes européennes qui ont eu lieu récemment, en tenant compte par exemple de leurs conséquences sur les marchés de titres. Il n’est pas question de donner un point de vue arrêté au lecteur, mais des éléments d’analyse suffisamment étayés, et suffisamment contradictoires, pour qu’il puisse se forger une idée fine des enjeux, des tenants et aboutissants, qui ne doivent pas être sous-estimés.
Quelle est la place des néobanques et autres sociétés spécialisées dans les services bancaires digitaux ?
Hormis quelques gros acteurs très connus, il n’y a pas vraiment de menace pour les banques (ce que l’on peut voir comme un avantage ou un inconvénient). On observe au contraire des innovations intéressantes en matière de paiements, de prêts ou d’accès au cash. Mais il faut encore s’attendre à de gros changements organisationnels. Un des enjeux est alors de préserver les plus modestes, en maintenant l’accès au financement sans exposer délibérément au risque de surendettement. De façon générale, les responsabilités en matière bancaire et financière sont difficiles à isoler. C’est pour cela qu’il était important de proposer un ouvrage nuancé, en évitant de se limiter à des résultats tranchés. Un autre enjeu lié au changement technologique se situe dans le traitement des données : des systèmes performants sont mis en place et ils peuvent être très vertueux. Ils peuvent aussi être intrusifs, et provoquer des situations inextricables pour la « clientèle », c’est-à-dire quiconque détient un compte ! Les nouvelles technologies sont prometteuses mais il ne faut pas sous-estimer les risques qui les accompagnent. La banque et la finance, cela doit rester transparent, ne l’oublions pas, et au service de projets concrets.
Les institutions européennes ont elles un rôle à jouer ?
Sans surprise, les quelques grands groupes français qui dominent le marché développent des stratégies pour être compétitifs, et mettent l’accent sur les activités qui sont les plus rentables en tenant compte notamment des réglementations. Ces dernières sont directement liées à l’originalité européenne : une union douanière, monétaire, bancaire, financière maintenant, mais une souveraineté budgétaire maintenue au niveau des États. Les contradictions sont nombreuses et les débats européens durant l’été 2020 pour gérer les conséquences de la pandémie et des confinements n’en sont qu’une des illustrations. À l’arrivée, hormis s’il est question de conquérir un nouveau client qu’elle cherchera ensuite à « équiper », les règles sont telles qu’une banque trouvera plus rentable de financer la dette publique qu’une PME pourtant importante sur son territoire. En Europe, on ne change pas cet état de fait, on choisit de mettre l’accent sur le financement par émission de titres. À priori c’est plutôt bien, mais ça exclut la très petite entreprise. Et puis, il ne faut pas aller trop loin dans ce sens : les marchés financiers apportent leur lot d’inconvénients, incluant les crises de grande ampleur et le renforcement des inégalités…
S’oriente-t-on suffisamment vers les financements verts ?
Le financement de projets à faible émission de carbone et l’investissement socialement responsable augmentent rapidement, et d’ailleurs ils semblent moins sujets aux retournements de conjoncture que les autres supports de placement. Comme toujours, certains s’en réjouissent alors que d’autres dénoncent – non sans arguments – des effets d’annonce non suivis d’actions concrètes, ou pas suffisamment. Il faut reconnaître que malgré le développement de ce que l’on appelle l’analyse extra-financière, il est difficile de mesurer la dimension éthique des activités financées, leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Les rapports RSE, y compris dans le secteur industriel ou commercial, pointent des situations idylliques et des progrès considérables. Pourtant, on est loin du changement de grande ampleur qui est nécessaire. Indépendamment des services publics comme l’enseignement et la santé, en matière d’énergie, d’aménagement urbain, de transport, par exemple, le secteur public ne doit pas s’en remettre aux acteurs financiers : même s’ils sont soucieux de leur image, même s’ils souhaitent véritablement façonner les territoires de manière à répondre à ces enjeux, ils restent assujettis à une contrainte de court terme et donc ce serait une erreur. On revient à la puissance publique, qui doit construire les politiques de financement avec les acteurs bancaires voire financiers.
Est-on vraiment en train de mettre en place un système de titrisation à l’américaine ?
La titrisation, c’est ce qui m’a poussé à écrire le livre. Sa mise en œuvre, aux États-Unis, a débouché sur une crise mondiale de très grande ampleur. L’avantage aura été une prise de conscience de la nécessité de mieux organiser, mieux réguler les activités bancaires et financières, notamment entre les pays. En Europe, l’idée est aussi de reproduire ce schéma en évacuant ce qui a dysfonctionné. Techniquement, c’est séduisant. Le partage des risques est amélioré, la capacité de financement augmente, ça peut même dynamiser la partie de votre assurance-vie potentiellement placée en unités de compte. Mais il y a des risques : celui d’une interpénétration entre banque et finance alors que ces activités ont besoin de clarté et de transparence voire d’étanchéité ; celui d’un banquier qui se débarrasse des risques alors que son métier consiste à les gérer ; celui d’un engouement pour des produits financiers qui sont aujourd’hui adossés à l’économie réelle mais qui pourraient être élargis à des pratiques plus spéculatives… Est-ce vraiment nécessaire ? Rien n’est moins sûr.
C’est ce que l’on enseigne en Faculté de Sciences économiques et de Gestion de Toulon ?
Entre autres… Il est vrai qu’en licence comme en master, on fait la part belle aux questions bancaires et financières ou à la gestion des risques, y compris en apprentissage, à côté du commerce international et des problématiques méditerranéennes. À l’Université, en « Fac d’éco », on fonctionne ainsi, en donnant aux étudiants des éléments nuancés, en leur donnant des outils techniques inspirés de nos recherches, et en débattant des considérations morales propres à chaque sujet. Ils sont bien armés et se révèlent efficaces sur le marché du travail, souvent car ils ne négligent pas le moyen et le long-terme, car ils distinguent le principal et l’accessoire, et car ils savent rapidement prendre des responsabilités.